Friday 20 August 2010

Book 3, chapter 4, footnote 04

[De la richesse commerciale, Sismondi, 1803, Original, 269-272]

(4) Quel sujet de réflexions que la conscription! et pourquoi le moment de s’y livrer ne serait-il pas venu? Sans doute pendant qu’une guerre cruelle nous forçait à déployer toutes nos ressources, il fallait se garder d’attaquer la plus énergique; mais à présent la paix nous est rendue, et la paix doit faire disparaître avec les fléaux de la guerre, la crainte d’en déplorer les suites. Comme ce n’est pas dans une note qu’on peut approfondir une matière si compliquée, je me contenterai de remarquer, que puisque chez un Peuple aussi belliqueux que le Français, les enrôlements volontaires suffisent amplement en temps ordinaire à l’entretien des armées, on ne peut comparer les deux modes de recrutement, sans voir avec douleur tout ce que la nation perd par celui qu’elle a adopté, quant à sa liberté, à ses mœurs, et à ses richesses.
   Quant à sa liberté; puisqu’il n’est point vrai que le service personnel soit une conséquence d’une constitution libre; dans les petits Etats de la Grèce, de l’Italie et de la Suisse, tout citoyen devait défendre sa patrie de son bras, parce qu’il n’était point obligé pour le faire, de s’éloigner de ses foyers, que la guerre ne durait que peu de jours, que l’obéissance était limitée par la durée de l’expédition, et qu’en devenant soldat, il ne cessait pas d’être citoyen. D’après les mêmes principes, on ne peut qu’applaudir à l’établissement des gardes nationales sédentaires en France, et des milices en Angleterre et en Amérique: mais la troupe de ligne est sur un pied bien différent: son obéissance est illimitée, les sacrifices que l’on demande au soldat, sont les plus grands qu’un homme puisse faire; il doit quitter le sol qui l’a vu naître, sa famille, ses amis, ses habitudes; au moment où son cœur s’ouvre peut-être à l’amour, il doit renoncer au mariage, à moins qu’il ne le précipite inconsidérément; il doit suivre ses drapeaux, au milieu des privations, des besoins, des souffrances, peut-être jusque sous la zone torride, au travers des sables brûlants de la Lybie, peut-être jusqu’auprès du Pôle, sur les tristes rochers de Terre-neuve; et pourquoi? pour aller obéir, servir, et se battre. Sont-ce là les droits d’un homme libre?
   Quant aux mœurs; les enrôlements volontaires conduisent surtout aux armées des désœuvrés, et des libertins. La sévérité de la discipline militaire les retient dans les lignes du devoir, elle en fait des citoyens utiles, dès qu’elle les emploie à la défense de la patrie; souvent même elle réussit à corriger leurs vices, et elle inspire un sentiment nouveau d’honneur et de retenue, à ceux qui auraient peut-être déshonoré la nation par leurs débauches ou leurs crimes. Il est avantageux pour les mœurs de retenir de semblables hommes au service, il est funeste pour elles d’y faire entrer des gens simples et vraiment vertueux. Autant la règle militaire élève les premiers au-dessus de la crapule, autant elle rabaisse les seconds au-dessous de l’innocence. Un coup d’œil sur les hôpitaux militaires, sur les progrès effrayants d’une maladie honteuse, dans des campagnes où elle avait toujours été inconnue, donnera la mesure de ce que les parents peuvent craindre de la dangereuse éducation des camps.
   Quant à la fortune nationale; qui pourrait calculer toutes les pertes que la conscription doit occasionner à l’Etat? perte d’instruction dans le moment où elle est accomplie, et où toute l’aptitude que le jeune homme a acquise dans les arts, les métiers ou les sciences, est abandonnée et mise en oubli; perte de travail dans la plus grande vigueur de l’âge, et lorsque l’homme est appelé par la nature à pourvoir de son bras aux besoins de son vieux père, puisque la sagesse éternelle a fait rencontrer l’époque du plus grand déploiement de forces des enfants, avec celle de l’affaiblissement des parents; perte de zèle, de constance et d’ardeur pour l’ouvrage, dans le moment où les habitudes se forment, et où le cachet qui doit décider du sort de la génération naissante, s’imprime pour jamais sur son caractère. Hélas! ce cachet doit-il porter l’empreinte de l’oisiveté! perte pécuniaire souvent ruineuse, lorsque le conscrit se rachète du servie, ou cherche à s’y dérober par la fuite. Ah! sans doute, celui qui déterminera la Législature à mettre un terme à tant de maux, et à distinguer une loi de circonstance d’avec une loi fondamentale, aura bien mérité de l’humanité.

[Translation]

What a subject of reflection conscription is! Why could you say that the time for this reflection has not come yet? No doubt, while a cruel war forced us to employ all our resources, we had to be careful not to attack the most energetic, but now peace has come back to us, and must make the fear to moan about the aftermath of the war gone with its calamities. As it is impossible to expound such a complicate theme in a note, I contend myself with noting that volunteer enrolment is entirely sufficient to maintain an army in peacetime in a country of a warlike nation like France, and that we cannot, therefore, compare these two ways of recruitment, without seeing easily all damages to which the choice of France has exposed her national liberty, manners, and wealth.
   First of all, let us turn to her liberty. Since it is not true that the personal service is a consequence of a free constitution, every citizen of small states in Greece, Italy or Switzerland was obliged to defend his home-country with his arms. This is because he did not have to be so far from his home-country in the war, did not soldier in the war for any more than a few days, have only to obey in the duration of expedition, and did not cease to be a citizen by becoming a soldier. According to the same principles, we can only approve the establishment of the standing national army in France, and the militia in England and America. However, the military unit on the front is in widely different situations. Its obedience is unlimited, and the sacrifices demanded of the soldier are the greatest that a man can do. He must leave the country where he, his family, his friends, and his customs were born. When he falls in love, he must probably give up his marriage, unless he lets it end in failure thoughtlessly. He must follow the regimental colours in the thick of privation, necessity, and patience, to the scorching zone across burning sands in Libya, or to a place near the pole upon cruel rocks in Newfoundland. Then why does he have to obey, serve, and battle? Are these the obligations of a free man?
   Secondly, let us turn to manners. The volunteer enrolment leads above all to an army of unemployed and libertines. The severity of military discipline aligns them with obligation, and makes them useful citizens, as soon as it employs them for the defence of the home-country. It is often successful even in correcting their vices, and inspires a new sentiment of honour and reservation to those who would have probably dishonoured the nation with their abuses and crimes. It is advantageous to manners to keep this kind of people in the service, and it is fatal to manners to accommodate simple and really virtuous people there. So the military rule elevates the former kind of people above a mob, while it corrupts the second people below a group of innocents. A look inside military hospitals at the terrifying spread of a disgraceful disease, in countries where it used to be unknown, will make us understand exactly what the parents can fear of the dangerous education in camps.
   Finally, let us turn to the national fortune. Who could calculate all losses that conscription should occasion to the state? These contain a loss of instruction at the time when it is accomplished, or when all the aptitude acquired by the young man in arts, trades, or sciences is abandoned and left into oblivion: a loss of labour when the man is at the age of the most vigour, and naturally tends to satisfy with his hands the needs of his old father, because the eternal wisdom has made the greatest display of power of children coincide with the waning of their parents’: a loss of zeal, patience, and ardour for work, at the time when habits are formed, and when a style which should decide the fate of the coming generation is inscribed for ever upon their character. Alas! This style should carry the trace of laziness! A pecuniary loss is often ruinous, when the conscript is released from the service, or seeks to avoid it by being a deserter. Ah! No doubt, if a man decides the Legislature to bring so many evils to an end, and to distinguish an opportune law from a fundamental law, he will merit the honour of humanity.