Saturday 6 March 2010

Book 3, chapter 1, paragraph 05

[De la richesse commerciale, Sismondi, 1803, Original, 146-149]

   Lorsque le commerce commenta à renaître en Europe, vers le treizième siècle, ses premiers succès excitèrent la jalousie des grands Feudataires, et de tous les gentilshommes, qui semblaient voir dans l’opulence de quelques hommes nouveaux, les premiers germes de la puissance qui devait les renverser un jour. Les Grands, conjurés contre les négociants qu’ils méprisaient et qu’ils enviaient, veillaient les occasions de les dépouiller, mais les coups qu’ils croyaient leur porter, retombaient tous sur eux-mêmes: ils multiplaient les exactions, redoublaient les péages sur les marchandises qui traversaient leurs terres, et ne s’apercevaient pas qu’eux ou leurs sujets payaient ensuite comme consommateurs, toutes les sommes qu’ils avaient levées sur le commerce. Cependant l’anarchie allant toujours en croissant, les marchands s’étaient tous retirés dans les villes, seul endroit où ils fussent à l’abri de vexations plus directes de la part des Seigneurs. Lorsque le lien de la société est presque dissous, c’est par des associations partielles que les citoyens suppléent à l’énergie défaillante de l’association générale. J’ai développé dans un autre ouvrage(1), l’histoire de ces associations des villes commerçantes. C’est en elles qu’il faut chercher l’origine commune de la Souveraineté des cités, et de l’importance politique des corps de métiers. Ceux-ci nommèrent des Consuls et souvent des Juges, donnèrent force de loi à leurs délibérations, s’affilièrent les artisans qui dépendaient d’eux, et formèrent enfin des compagnies de milices, obligées de marcher sous l’étendard du métier dominant. Avec une organisation si complète, dans un siècle où le Souverain perdait chaque jour de ses forces, ils virent bientôt croître les leurs. On verra dans l’ouvrage déjà cité, quel rôle les corps de métiers jouèrent dans les Républiques de l’Italie: quant aux villes de la France et de l’Angleterre, comme elles ne parvinrent jamais à l’indépendance, les corps d’arts et métiers ne purent y posséder que la partie de la Souveraineté qu’elles s’étaient arrogées; du moins, ils l’obtinrent sans partage. Dans un temps où les marchands donnaient des lois à leur patrie, il ne faut pas s’étonner qu’ils dictassent seuls celles du commerce. Presque tous les usages et les règlements municipaux du négoce, datent de cette époque, où les villes à peu près indépendantes étaient gouvernées par des commerçants. Lorsque le pouvoir Législatif passa des mains des bourgeois à celles des Parlements et à celles des Rois, ces derniers crurent ne pouvoir rien faire de plus sage, que de confirmer ce que des gens du métier avaient décidé sur leurs propres affaires, qu’ils paraissaient entendre seuls; et lorsqu’ils jugèrent à propos de faire à ces lois quelques corrections, ils se firent un devoir de consulter ces mêmes négociants, sur celles qu’ils crûrent convenables. C’est ainsi que dans cette lutte qui doit subsister sans cesse entre le consommateur et son pourvoyeur; le Gouvernement, loin de chercher à tenir la balance égale, s’est rangé constamment du côté du dernier, et l’a favorisé de toutes ses forces. En sorte que si le monopole ne pèse pas plus rudement encore sur tous les besoins de la nation, ce n’est point à la protection du Législateur qu’elle en doit rendre grâce, mais à la modération des négociants, qui n’ont pas demandé tout ce qu’ils auraient pu obtenir.

[Translation]

   When commerce began to revive in Europe around the thirteenth century, its earliest success excited jealousy of great feudal lords and all gentlemen, who seemed to see the opulence of some new men as the first omen of the power which would surely overthrow them some day. The great feudal lords, conspiring with one another against the merchants they despised and envied, watched for opportunities to denude them, but the blows which they believed would strike at the merchants fell upon them themselves. They multiplied tax-collections, reinforced tolls upon commodities passing across their estates, and did not notice that they or their subjects would later paid, as consumers, all of what they had levied upon commerce. However, as anarchy was constantly spreading out, all merchants had retired into towns, the only places where they were free from more direct tyrannies from the side of lords. In the case where the bond of society is almost dissolved, it is by some partial associations that citizens supplement the weakened energy of general association. I have in another work expounded(1) the history of these associations of commercial towns. It is in these associations that we must try to find the common origin of the sovereignty of towns and of the political importance of corpses of artisans. These nomi¬nated some consuls and often some judges, gave legal effect to their deliberations, affiliated the artisans who depended upon them, and, finally, formed companies of militias, obliged to march under the flag of dominant trades. With such a complete organisation, in a century when the monarch was less and less powerful, the corpses were soon more and more powerful. You will in the already cited work see what role the corpses played in the Republics of Italy. As for the towns of France and England, since they did not achieve independence, corpses of artisans and craftsmen could only possess that part of sovereignty which the towns had acquired, though the corpses obtained it as a whole. In a period when merchants gave laws to their fellow-countrymen, it must not be surprising that they should be the only ones to dictate laws of commerce. Almost all municipal uses and regulations of commerce date from that age when merchants governed almost independent towns. When the legislative power passed from the hands of bourgeois to those of parliaments and kings, the latter believed that there could be nothing wiser than to affirm that which men of trade had decided as to their own business, which they alone seemed to understand. Moreover, when they judged it proper to make amendments to these laws, they thought themselves obliged to consult these same merchants, as to what they believed proper. Thus, in that process of haggling which should continue incessantly between the consumer and his supplier, the government, far from trying to keep the balance equal, has constantly stood on the side of the supplier, and has favoured him by all means. As a consequence, if the monopoly has not yet fallen harshly upon the needs of the nation, it is not to the protection of the legislator that she should be grateful for that, but it is to the moderation of the merchants, who have not demanded all that they could have obtained.